Le télétravail, un échange stérile?

Il y a un an, en novembre 2020, plus de 25% des salariés avaient été en télétravail au moins un jour par semaine, dont 44 % ont télétravaillé tous les jours. Pourtant, en septembre 2021, seul 2% de l’ensemble des salariés ont télétravaillé au moins 1 jour dans la semaine.
Il s’est imposé dans le débat public comme une révolution du système d’organisation du travail. Pourtant, il créait des frustrations et multiplie les articles ventant ses mérites en termes de flexibilité ou criant aux inégalités et difficultés qu’il soulève pour les entreprises.

Quels sont aujourd’hui les discours qui s’opposent ?

Plusieurs études ont été menées sur de nombreux aspects du télétravail, que ce soit sur le lien entre dépression et travail à domicile, l’augmentation de la productivité ou sur son impact environnemental. Pourtant, ces études ne mettent toujours pas d’accord l’ensemble des travailleurs et employeurs sur la question de la généralisation ou non du télétravail.

Sur le thème de la productivité, on constate une fracture entre la vision des employeurs et celle des salariés.

Une étude de la Banque de France en 2020, conclut qu’augmenter l’effectif en télétravail de 1 point (par exemple, passer de 17 % à 18 % de l’effectif) augmente la productivité de l’entreprise de 0,6 %. Cela permet de dire qu’un passage au télétravail un jour par semaine, pour 15 % des salariés en France, permettrait d’augmenter globalement la productivité d’environ 9 %.  Pourtant, de l’autre côté de nos frontières, en Belgique, les contestations patronales sur ce mode d’organisation ont refait surface suite à la résurgence de l’épidémie. Les nouvelles règles imposant un retour au télétravail 4 jours sur 5 en Belgique ont en effet créé une levée de bouclier du côté des Fédérations comme la FEB, l’UCM ou l’UWE. Selon cette dernière « Les conséquences sur l’économie, les entreprises, l’emploi et donc sur l’ensemble de la société, vont malheureusement s’inscrire dans la durée« .

L’an dernier lors du confinement, l’enquête mensuelle de l’Economic Risk Management Group (ERMG), mis en place sous l’égide de la Banque nationale belge, montrait que 54% des employeurs estimaient que le télétravail à temps plein avait un impact négatif sur leur productivité, voire très négatif pour 10% d’entre eux. Moins de 10% estimait que le télétravail à temps plein pouvait avoir un impact positif sur leur productivité.

Pourtant en parallèle, une étude d’Acertone et Stepstone révèle que seul 15% des salariés belges estiment être moins productifs chez eux qu’à leur bureau et 49% d’entre eux travaillent plus d’heures que lorsqu’ils se rendent sur site.

Comment expliquer les disparités portant sur la productivité en télétravail ?

Une étude menée par l’UCL Louvain apporte une première réponse : le télétravail oui mais pas à temps plein.

Cette étude met en lumière les gains et les limitations qu’apporte le passage en télétravail. Elle confirme l’étude selon laquelle les travailleurs y voient un réel bénéfice en termes de flexibilité. Elle reprend également les raisons démontrant un accroissement de la productivité des salariés notamment par une activité plus dense (absence d’interruption ou même de pauses) et l’allongement de la durée de travail, les temps de déplacement étant fréquemment transformés en tant de production.

 En revanche, plusieurs effets négatifs sont évoqués par les salariés dont l’isolement social, une difficulté déjà largement documentée depuis la mise en place du télétravail généralisé.

Un autre aspect, moins perceptible, concerne les opportunités de carrière et de développement qui tendent à s’amoindrir. Il en ressort des difficultés pour mettre en avant ses réussites et évoquer ses prétentions dans un cadre plus informel.

Les relations avec ses supérieurs en télétravail tendant à se concentrer à des échanges professionnels, laissant moins de place à la création d’une relation humaine. Le relationnel permet notamment de stimuler sa carrière par la création d’un réseau, qui peut apparaitre plus complexe lorsque l’on évolue uniquement à distance.

Côté entreprises, l’étude met en avant les difficultés d’adaptation rencontrées et les raisons du surcout de la mise en place du télétravail. En effet, pour un réel impact positif l’entreprise doit entièrement revoir son système de management et son organisation. Elle doit réfléchir à une nouvelle optimisation de ce coût par exemple via la réduction des bureaux. « Le passage au télétravail constitue par ailleurs un coût pour l’entreprise qui doit intervenir dans l’équipement de ses employés (matériel informatique, connexion voire intervention dans les frais généraux)« .

 Elles évoquent en parallèle la diminution de l’implication du salarié. On peut imaginer que, n’ayant plus accès qu’à son réseau professionnel proche, le salarié aura tendance à se sectoriser et ne plus s’intéresser aux autres branches de son entreprise. Sur ce point, de nouvelles études ont mis en avant la perte de créativité des salariés du fait de leur cloisonnement dû au télétravail. Les échanges concernant des problématiques et des solutions déployées dans les autres corps de l’entreprise permettent de faire naitre des idées pour résoudre ses propres difficultés.

Pourquoi les employeurs préfèrent imposer le retour en présentiel malgré l’amélioration de la productivité ?

Là, une réponse revient régulièrement : assurer un meilleur contrôle du salarié. 

Même si très peu assumeront cette raison et mettront plutôt en avant des aspects de maintien de la cohésion des équipes ou de meilleure fluidité des échanges, il n’en reste pas moins que c’est une des raisons qui est les plus souvent avancée par les salariés. 

On peut scinder de point en deux aspects : le manque de confiance quant à la réalisation du travail demandé et la problématique de la loyauté du salarié.

Le manque de confiance est une caractéristique présente chez les êtres humains qui n’est pas exclusif aux relations professionnelles. On le voit également dans la vie privée, les relations de totale confiance sont rares. Pour compenser ce manque de confiance en l’autre, on met alors en place une stratégie de contrôle permettant, même si ce n’est généralement qu’une façade, de se rassurer en pensant savoir ce que l’autre fait. La confiance n’est alors plus une nécessité car on pense savoir tout ce qu’il se passe.

C’est une nouvelle caractéristique de la relation de travail qui peut apparaitre très compliquée à mettre en place pour les managers. Il faut alors réussir à passer d’un état où l’on peut observer tous les comportements d’une équipe à un état où l’on est uniquement face à un écran et un email.

La loyauté est, comme la confiance, une utopie qu’il est difficile de pratiquer dans les relations professionnelles. Evidemment, il est bien plus simple de rechercher un emploi et passer des entretiens par visios lorsque l’on est en télétravail.

Mais qu’attend-on d’un salarié loyal ? Il faut rappeler que la loyauté ne peut pas être vue comme un dévouement sans limite à son entreprise et que pour exiger cette dernière, l’entreprise aussi doit avoir quelque chose à offrir. Nous ne sommes plus dans une relation unilatérale avec uniquement la fourniture d’un travail et le paiement d’un salaire.

La loyauté doit aussi être étudiée au niveau générationnel. Les boomers ayant plutôt tendance à privilégier une carrière longue, estimant qu’il ne faut pas changer d’emploi avant environ dix ans, tandis que les millnials estiment qu’il n’est pas intéressant pour leur employabilité d’aller au delà de 3 à 6 ans dans une même entreprise. Cette évolution de mentalité venant notamment de l’évolution des contrats qui ont tendances à suivre la réalisation d’un projet plus qu’à privilégier une situation stable de long terme, comme on peut l’observer avec le développement des CDI de chantier ou de mission.

 En dehors de ces deux points essentiels qui poussent aujourd’hui à limiter l’utilisation du télétravail, un autre aspect peut être mis en avant : la limitation de la créativité. En effet, les dernière études sur le lien entre créativité et télétravail montrent que ce dernier ne permet pas la résolution de problèmes complexes. La systématisation du mail ou du message teams limite la fluidité des échanges et la stimulation de nouvelles idées pour résoudre des difficultés complexes. Une seule réunion en face à face pourrait donc éviter un enchainement d’échanges numériques et donc, un gain de temps.

Le télétravail est-il désormais un critère essentiel pour les salariés ?

Il est intéressant d’observer un phénomène, démarré aux USA mais qui tend à prendre de l’ampleur au niveau mondial, nommé le « Great Resign« . Ce terme entrevoie un mouvement massif de démission des salariés en premier lieu dans les secteurs de l’IT. On estime à environ 72% de projet de démission dans les 12 mois à venir.

 Pour trouver l’origine de ce phénomène, il est intéressant de consulter l’enquête 2021 de CodinGame. L’étude montre que, même si officiellement les développeurs prétendent que le challenge technique est l’élément primordial dans le choix d’un poste, il en ressort également qu’ils sont 67% à privilégier les postes en télétravail, notamment pour avoir une meilleure flexibilité et un meilleur équilibre vie pro/vie perso.  Cette enquête montre également le point de vue de l’employeur, et, pour lui, le facteur principal d’embauche du salarié est surtout le salaire. Seuls 6,9% des employeurs interrogés pensent que l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée est un facteur décisif dans la sélection d’un poste.

Le recruteur n’a-t-il pas un rôle à jouer en accompagnant les employeurs à faire évoluer les avantages proposés ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *